mardi 21 juillet 2009

Légèreté et pesanteur

[Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être]

S'ils étaient resté ensemble plus longtemps, peut être auraient ils commencé à comprendre peu à peu les mots qu'ils prononçaient. Leur vocabulaire se serait pudiquement et lentement rapproché comme des amants très timides, et leur musique à tous deux aurait commencé à se fondre dans la musique de l'autre. Mais il était trop tard.

Le kitsch fait naître tour à tour deux larmes d'émotion. La première larme dit : Comme c'est beau, de gosses courant sur une pelouse ! La deuxième larme dit : Comme c'est beau, d'être ému avec toute l'humanité à la vue de gosses courant sur une pelouse ! Seule cette deuxième larme fait que le kitsch est le kitsch. La fraternité de tous les hommes ne pourra être fondée que sur le kitsch.

Tereza caresse la tête de Karénine qui repose paisiblement sur ses genoux. Elle se tient à peu près ce raisonnement : Il n'y a aucun mérite à bien se conduire avec ses semblables [...] On ne pourra jamais déterminer avec certitude dans quelle mesure nos relations avec autrui sont les résultat de nos sentiments, de notre amour ou non-amour, de notre bienveillance ou haine, et dans quelle mesure elles sont d'avance conditionnées par les rapports de force entre individus. La vrai bonté de l'homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c'est ici que s'est produite la faillite fondamentale de l'homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent. [...] Le monde a donné raison à Descartes.
J'ai toujours devant les yeux Tereza assise sur une souche, elle caresse la tête de Karénine et songe à la faillite de l'humanité. En même temps, une autre image m'apparaît : Nietzsche sort d'un hôtel de Turin. Il aperçoit devant lui un cheval et un cochet qui le frappe à coups de fouets. Nietzsche s'approche du cheval, il lui prend l'encolure entre les bras sous les yeux du cochet et il éclate en sanglots. [...] Nietzsche était venu demander au cheval pardon pour Descartes. Sa folie (donc son divorce avec l'humanité) commence à l'instant où il pleure sur le cheval.
Et c'est la le Nietzsche que j'aime, de même que j'aime Tereza [...] ils s'écartent tous deux de la route où l'humanité, "maître et possesseur de la nature", poursuit sa marche en avant.

En son for intérieur, elle lui reprochait toujours de ne pas l'aimer assez. Elle considérait que son amour à elle était au-dessus de tout reproche, mais que son amour à lui était une simple condescendance.

On a tous tendance à voir dans la force un coupable et dans la faiblesse une innocente victime. [...] La souffrance de Tereza était une souffrance agressive qui le forçait chaque fois à capituler, jusqu'au moment où il avait cessé d'être fort.

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