lundi 4 avril 2011

Chant villechenien

[Alfred de Musset, Namouna - chant deuxième]

I
Eh bien! en vérité, les sots auront beau dire,
Quand on n'a pas d'argent, c'est amusant d'écrire.
Si c'est un passe-temps pour se désennuyer,
Il vaut bien la bouillotte; et, si c'est un métier,
Peut-être qu'après tout ce n'en est pas un pire
Que fille entretenue, avocat ou portier.

II
J'aime surtout les vers, cette langue immortelle.
C'est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas;
Mais je l'aime à la rage. Elle a cela pour elle
Que les sots d'aucun temps n'en ont pu faire cas,
Qu'elle nous vient de Dieu, - qu'elle est limpide et belle,
Que le monde l'entend, et ne la parle pas.
















III
Eh bien! sachez-le donc, vous qui voulez sans cesse
Mettre votre scalpel dans un couteau de bois;
Vous qui cherchez l'auteur à de certains endroits,
Comme un amant heureux cherche, dans son ivresse,
Sur un billet d'amour les pleurs de sa maîtresse,
Et rêve, en le lisant, au doux son de sa voix;

IV
Sachez-le, - c'est le coeur qui parle et qui soupire
Lorsque la main écrit, - c'est le coeur qui se fond;
C'est le coeur qui s'étend, se découvre et respire
Comme un gai pèlerin sur le sommet d'un mont.
Et puissiez-vous trouver, quand vous en voudrez rire,
A dépecer nos vers le plaisir qu'ils nous font!

V
Qu'importe leur valeur? La muse est toujours belle,
Même pour l'insensé, même pour l'impuissant;
Car sa beauté pour nous, c'est notre amour pour elle.
Mordez et croassez, corbeaux, battez de l'aile;
Le poète est au ciel, et lorsqu'en vous poussant
Il vous y fait monter, c'est qu'il en redescend.

VI
Allez, - exercez-vous, - débrouillez la quenouille,
Essoufflez-vous à faire un boeuf d'une grenouille.
Avant de lire un livre, et de dire: "J'y crois!"
Analysez la plaie, et fourrez-y les doigts;
Il faudra de tout temps que l'incrédule y fouille,
Pour savoir si son Christ est monté sur la croix.

VII
Eh! depuis quand un livre est-il donc autre chose
Que le rêve d'un jour qu'on raconte un instant;
Un oiseau qui gazouille et s'envole; - une rose
Qu'on respire et qu'on jette, et qui meurt en tombant; -
Un ami qu'on aborde, avec lequel on cause,
Moitié lui répondant, et moitié l'écoutant?

VIII
Aujourd'hui, par exemple, il plaît à ma cervelle
De rimer en sixains le conte que voici.
Va-t-on le maltraiter et lui chercher querelle?
Est-ce sa faute, à lui, si je l'écris ainsi?
"Byron, me direz-vous, m'a servi de modèle."
Vous ne savez donc pas qu'il imitait Pulci?

IX
Lisez les Italiens, vous verrez s'il les vole.
Rien n'appartient à rien, tout appartient à tous.
Il faut être ignorant comme un maître d'école
Pour se flatter de dire une seule parole
Que personne ici-bas n'ait pu dire avant vous.
C'est imiter quelqu'un que de planter des choux.

X
Ah! pauvre Laforêt, qui ne savais pas lire,
Quels vigoureux soufflets ton nom seul a donnés
Au peuple travailleur des discuteurs damnés!
Molière t'écoutait lorsqu'il venait d'écrire.
Quel mépris des humains dans le simple et gros rire
Dont tu lui baptisais ses hardis nouveau-nés!

XI
Il ne te lisait pas, dit-on, les vers d'Alceste;
Si je les avais faits, je te les aurais lus.
L'esprit et les bons mots auraient été perdus;
Mais les meilleurs accords de l'instrument céleste
Seraient allés au coeur comme ils en sont venus.
J'aurais dit aux bavards du siècle: "A vous le reste."

XII
Pourquoi donc les amants veillent-ils nuit et jour?
Pourquoi donc le poète aime-t-il sa souffrance?
Que demandent-ils donc tous les deux en retour?
Une larme, ô mon Dieu, voilà leur récompense;
Voilà pour eux le ciel, la gloire et l'éloquence,
Et par là le génie est semblable à l'amour.

XIII
Mon premier chant est fait. - Je viens de le relire.
J'ai bien mal expliqué ce que je voulais dire;
Je n'ai pas dit un mot de ce que j'aurais dit
Si j'avais fait un plan une heure avant d'écrire;
Je crève de dégoût, de rage et de dépit.
Je crois en vérité que j'ai fait de l'esprit.

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