mercredi 22 juillet 2009

Piqûre de rappel

La bonne humeur a quelque chose de généreux : elle donne plutôt qu'elle ne reçoit. (Alain)
Le pessimisme est d'humeur ; l'optimisme est de volonté. (Alain)
Il faut tenir pour maxime indubitable que les difficultés que nous avons avec notre prochain viennent plutôt de nos humeurs que d'autre chose. (St Vincent de Paul)
Si vous voulez que la vie vous sourie, apportez-lui d'abord votre bonne humeur. (Spinoza)

mardi 21 juillet 2009

Légèreté et pesanteur

[Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être]

S'ils étaient resté ensemble plus longtemps, peut être auraient ils commencé à comprendre peu à peu les mots qu'ils prononçaient. Leur vocabulaire se serait pudiquement et lentement rapproché comme des amants très timides, et leur musique à tous deux aurait commencé à se fondre dans la musique de l'autre. Mais il était trop tard.

Le kitsch fait naître tour à tour deux larmes d'émotion. La première larme dit : Comme c'est beau, de gosses courant sur une pelouse ! La deuxième larme dit : Comme c'est beau, d'être ému avec toute l'humanité à la vue de gosses courant sur une pelouse ! Seule cette deuxième larme fait que le kitsch est le kitsch. La fraternité de tous les hommes ne pourra être fondée que sur le kitsch.

Tereza caresse la tête de Karénine qui repose paisiblement sur ses genoux. Elle se tient à peu près ce raisonnement : Il n'y a aucun mérite à bien se conduire avec ses semblables [...] On ne pourra jamais déterminer avec certitude dans quelle mesure nos relations avec autrui sont les résultat de nos sentiments, de notre amour ou non-amour, de notre bienveillance ou haine, et dans quelle mesure elles sont d'avance conditionnées par les rapports de force entre individus. La vrai bonté de l'homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c'est ici que s'est produite la faillite fondamentale de l'homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent. [...] Le monde a donné raison à Descartes.
J'ai toujours devant les yeux Tereza assise sur une souche, elle caresse la tête de Karénine et songe à la faillite de l'humanité. En même temps, une autre image m'apparaît : Nietzsche sort d'un hôtel de Turin. Il aperçoit devant lui un cheval et un cochet qui le frappe à coups de fouets. Nietzsche s'approche du cheval, il lui prend l'encolure entre les bras sous les yeux du cochet et il éclate en sanglots. [...] Nietzsche était venu demander au cheval pardon pour Descartes. Sa folie (donc son divorce avec l'humanité) commence à l'instant où il pleure sur le cheval.
Et c'est la le Nietzsche que j'aime, de même que j'aime Tereza [...] ils s'écartent tous deux de la route où l'humanité, "maître et possesseur de la nature", poursuit sa marche en avant.

En son for intérieur, elle lui reprochait toujours de ne pas l'aimer assez. Elle considérait que son amour à elle était au-dessus de tout reproche, mais que son amour à lui était une simple condescendance.

On a tous tendance à voir dans la force un coupable et dans la faiblesse une innocente victime. [...] La souffrance de Tereza était une souffrance agressive qui le forçait chaque fois à capituler, jusqu'au moment où il avait cessé d'être fort.

jeudi 16 juillet 2009

Tiqqun

[Comité Invisible, L'insurrection qui vient]

Notre histoire est celle des colonisations, des migrations, des guerres, des exils, de la destruction de tous les enracinements. C’est l’histoire de tout ce qui a fait de nous des étrangers dans ce monde, des invités dans notre propre famille. Nous avons été expropriés de notre langue par l’enseignement, de nos chansons par la variété, de nos chairs par la pornographie de masse, de notre ville par la police, de nos amis par le salariat. À cela s’ajoute, en France, le travail féroce et séculaire d’individualisation par un pouvoir d’État qui note, compare, discipline et sépare ses sujets dès le plus jeune âge, qui broie par instinct les solidarités qui lui échappent afin que ne reste que la citoyenneté, la pure appartenance, fantasmatique, à la République. Le Français est plus que tout autre le dépossédé, le misérable. Sa haine de l’étranger se fond avec sa haine de soi comme étranger.

mercredi 15 juillet 2009

"On"

[Heidegger, L'être et le temps]

«Le distancement caractéristique de l'être-avec-autrui implique que I'être-là se trouve dans son être-en-commun quotidien sous l'emprise d'autrui. Il n'est pas lui-même, les autres l'ont déchargé de son être. Les possibilités d'être quotidiennes de l'être-Ià sont à la discrétion d'autrui. Autrui, en ce cas, n'est pas quelqu'un de déterminé. N'importe qui, au contraire, peut le représenter. Seule importe cette domination subreptice d'autrui, à laquelle l'être-là, dans son être-avec-autrui, s'est déjà soumis. Soi-même, on appartient à autrui et l'on renforce son empire. « Les autres », que l'on nomme ainsi pour dissimuler le fait que l'on est essentiellement l'un d'eux, sont ceux qui, dans l'existence commune quotidienne, se trouvent " être là " de prime abord et le plus souvent. [...l
En usant des transports en commun ou des services d'information (des journaux par exemple), chacun est semblable à tout autre. Cet être-en-commun dissout complétement I'être-là qui est mien dans le mode d'être d' "autrui", en telle sorte que les autres n'en disparaissent que davantage en ce qu'ils ont de distinct et d'expressément particulier. Cette situation d'indifférence et d'indistinction permet au " On " de développer sa dictature caractéristique. Nous nous amusons, nous nous distrayons, comme on s'amuse; nous lisons, nous voyons, nous jugeons de la littérature et de l'art, comme on voit et comme on juge : et même nous nous écartons des " grandes foules " comme on s'en écarte ; nous trouvons " scandaleux " ce que l'on trouve scandaleux. Le " On " qui n'est personne de déterminé et qui est tout le monde, bien qu'il ne soit pas la somme de tous, prescrit à la réalité quotidienne son mode d'être. […]
Le " On " se mêle de tout, mais en réussissant toujours à se dérober si l'être-Ià est acculé à quelque décision. Cependant, comme il suggère en toute occasion le jugement à énoncer et la décision à prendre, il retire à I'être-Ià toute responsabilité concrète. Le " 0n " ne court aucun risque à permettre qu'en toute circonstance on ait recours à lui. Il peut aisément porter n'importe quelle responsabilité, puisque à travers lui personne jamais ne peut être interpellé. On peut toujours dire : on l'a voulu, mais on dira aussi bien que " personne " n'a rien voulu.»