vendredi 10 décembre 2010

Ébauches de vertiges en décomposition

[Emil Cioran, Précis de décomposition]

Une civilisation commence à déchoir à partir du moment où la vie devient son unique obsession. Les époques d'apogée cultivent les valeurs pour elles-mêmes : la vie n'est qu'un moyen pour les réaliser ; l'individu ne se sait pas vivre, il vit, - esclave heureux des formes qu'il engendre, soigne et idolâtre. L'affectivité le domine et le remplit. Nulle création sans les ressources du "sentiment", lesquelles sont limitées ; cependant pour celui qui n' éprouve que la richesse, elles paraissent intarissables : cette illusion produit l'histoire.
Dans la décadence, le dessèchement affectif ne permet plus que deux modalités de sentir et de de comprendre : la sensation et l'idée. Or, c'est par l'affectivité qu'on s'adonne au monde des valeurs, qu'on projette une vitalité dans les catégories et dans les normes. L'activité d'une civilisation à ses moments féconds consiste à faire sortir les idées de leur néant abstrait, à transformer les concepts en mythes. Le passage de l'individu anonyme à l'individu conscient n'est pas encore accompli : il est pourtant inévitable. (...)
Une nation ne saurait créer indéfiniment. Elle est appelée à donner expression et sens à une somme de valeurs qui s'épuisent avec l'âme qui les a enfantées. Le citoyen se réveille d'une hypnose productive : le règne de la lucidité commence : les masses ne manient plus que des catégories vides. Les mythes redeviennent concepts : c'est la décadence. Et les conséquences se font sentir : l'individu veut vivre, il convertit la vie en finalité, il s'élève au rang d'une petite exception. Le bilan de ces exceptions, composant le déficit d'une civilisation, en préfigure l'effacement. Tout le monde atteint à la délicatesse ; - mais n'est-ce point la rayonnante stupidité des dupes qui accomplit l'œuvre des grandes époques ? (...) La découverte de la vie anéantit la vie. Quand tout un peuple, à des degrés différents, est à l'affût de sensations rares, quand, par les subtilités du goût, il complique ses réflexes, il a accédé à un niveau de supériorité fatal. La décadence n'est que l'instinct devenu impur sous l'action de la conscience.

L'espoir est une vertu d'esclaves.
La poésie a, comme la vie, l'excuse de ne rien prouver.

Essayez d'être libre : vous mourrez de faim. La société ne vous tolère que si vous êtes successivement serviles et despotiques.

La mélancolie est l'état de rêve de l'égoïsme.

Il n 'y a de vie que dans l'inattention à la vie.

Trop mûrs pour d'autres aurores, et ayant compris trop de siècles pour en désirer de nouveaux, il ne nous reste plus qu'à nous vautrer dans la scorie des civilisations. La marche du temps ne séduit plus que les imberbes et les fanatiques...

Nos vérités ne valent pas plus que celles de nos ancêtres. Ayant substitué à leurs mythes et à leurs sympboles des concepts, nous nous croyons "avancés"; mais ces mythes et ces symboles n'expriment gère moins que nos concepts. (...) La suffisance moderne n'a pas de bornes : nous nous croyons plus éclairés et plus profonds que les siècles passés, oubliant que l'enseignement d'un Bouddha plaça des milliers d'être devant le problème du néant, problème que nous imaginons avoir découvert parce que nous en avons changé les termes et y avons introduit un tantinet d'érudition. (...) La conscience change seulement ses formes et ses modalités, mais ne progresse nullement.

On vous pardonne tout, pourvu que vous ayez un métier, un sous-titre à votre nom, un sceau sur votre néant. Personne n'a l'audace de s'écrier : "Je ne veux rien faire" ; - on est plus indulgent à l'égard d'un assassin que d'un esprit affranchi des actes. Multiplier les possibilités de se soumettre, abdiquer sa liberté, tuer le vagabond en soi, c'est ainsi que l'homme a raffiné son esclavage et s'est inféodé aux fantômes. Même ses mépris et ses rebellions, il ne les a cultivés que pour en être dominé, sert qu'il est de ses attitudes, de ses gestes, de ses humeurs.

On liquide ses sentiments en en poursuivant les détours, comme ses élans si on en épis la courbe ; et lorsque l'on détaille les mouvements des autres, ce ne sont pas eux qui s'embrouillent dans leur marche.

jeudi 14 octobre 2010

Stratégie de séduction

vendredi 24 septembre 2010

Qui suis-je ?

[source, wikipédia]

Je suis un esprit libre à tendances existentialistes, matérialistes, sceptiques, empiristes, stirneriennes...

L’existentialisme est un courant philosophique et littéraire qui postule que l'être humain forme l'essence de sa vie par ses propres actions, en opposition à la thèse que ces dernières lui sont prédéterminées par quelconques doctrines théologiques, philosophiques ou morales. L'existentialisme considère donc chaque personne comme un être unique qui est maître non seulement de ses actes et de son destin, mais également - pour le meilleur comme pour le pire - des valeurs qu'il décide d'adopter.

Le matérialisme considère que la matière construit toute réalité et s'oppose au spiritualisme pour lequel l'esprit domine la matière. D'une façon générale, le matérialisme rejette l'existence de l'âme, de l'esprit, de la vie éternelle, ou de Dieu. Il considère que la conscience, la pensée et les émotions sont les conséquences de mécanismes matériels. Pour le matérialisme, la mort du corps matériel entraine la disparition de la conscience et de la sensation d'exister. Le matérialisme considère que le monde résulte de mécanismes matériels, sans but et sans signification et que l'esprit est une illusion.

Le scepticisme (du grec skeptikos, « qui examine ») est, au sens strict, une doctrine selon laquelle la pensée humaine ne peut se déterminer sur la possibilité de la découverte d'une vérité. Il ne s'agit pas de rejeter la recherche, mais au contraire de ne jamais l'interrompre en prétendant être parvenu à une vérité absolue. Son principal objectif n'est pas de nous faire éviter l'erreur, mais de nous faire parvenir à la quiétude (ataraxia), loin des conflits de dogmes et de la douleur que l'on peut ressentir lorsqu'on découvre de l'incohérence dans ses certitudes.

L'empirisme considère que la connaissance se fonde sur l'accumulation d'observations et de faits mesurables, dont on peut extraire des lois générales par un raisonnement inductif, allant par conséquent du concret à l'abstrait, ce qui fait de l'expérience sensible l'origine de toute connaissance valide et de tout plaisir esthétique.

Stirner, philosophe allemand, sa philosophie est un réquisitoire contre toutes les puissances supérieures auxquelles on aliène son « Moi », et Stirner vise principalement l'Esprit hégelien, l'Homme feuerbachien et la Révolution socialiste. Stirner exhorte chacun à s'approprier ce qui est en son pouvoir, indépendamment des diverses forces d'oppression extérieures au Moi.

mardi 21 septembre 2010

Un esprit libre

[Alexandre Grothendieck, Récoltes et semailles]

Cette naïveté ou cette innocence s'exprime par une propension (souvent peu appréciée par l'entourage) à regarder les choses par ses propres yeux, plutôt qu'à travers des lunettes brevetées, gracieusement offertes par quelque groupe humain plus ou moins vaste, investi d'autorité pour une raison ou une autre.
Cette "propension'', ou cette solitude intérieure, n'est pas le privilège d'une maturité, mais bien celui de l'enfance. C'est un don reçu en naissant, en même temps que la vie -- un don humble et redoutable. Un don souvent enfoui profond, que certains ont su conserver tant soit peu, ou retrouver peut-être...
On peut l'appeler aussi le don de solitude.

C’est dans cet acte de "passer outre", d’être soi-même en somme et non pas simplement l’expression des consensus qui font loi, de ne pas rester enfermé
à l’intérieur du cercle impératif qu’ils nous fixent - c’est avant tout dans cet acte solitaire que se trouve "la création". Tout le reste vient par surcroît.

mardi 14 septembre 2010

L'Europe du XXème siècle

[Paul Valéry, Regards sur le monde actuel]

L’Europe s’était distinguée nettement de toutes les parties du monde. Non point par sa politique, mais malgré cette poli­tique, et plutôt contre elle, elle avait développé à l’extrême la liberté de son esprit, combiné sa passion de comprendre à sa volonté de rigueur, inventé une cu­riosité précise et active, créé, par la re­cherche obstinée de résultats, qui se pussent comparer exactement et ajouter les uns aux autres, un capital de lois et de procédés très puissants. Sa politique, cependant, demeura telle quelle ; n’em­pruntant des richesses et des ressources singulières dont je viens de parler, que ce qu’il fallait pour fortifier cette poli­tique primitive et lui donner des armes plus redoutables et plus barbares.

Il faut rappeler aux nations croissantes qu’il n’y a point d’arbre dans la nature qui, placé dans les meilleures conditions de lumière, de sol et de terrain, puisse grandir et s’élargir indéfiniment.

L’Histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout.

Je consens donc sans difficulté que ceux qui agissent en politique, c’est‑à­dire qui se dépensent à acquérir ou à con­server quelque parcelle de pouvoir, ne se perdent pas à peser les notions dont ils se servent et dont leurs esprits furent munis une fois pour toutes ; je sais bien qu’ils doivent, par nécessité de leur état, tra­vailler sur une image du monde assez gros­sière, puisqu’elle est et doit être du même ordre de précision, de la même étendue, de la même simplicité de connexion dont la moyenne des esprits se satisfait, cette moyenne étant le principal suppôt de toute politique. Pas plus que l’homme d’action, l’opinion n’a le temps ni les moyens d’approfondir.

La politique se résout ainsi en des com­binaisons d’entités conventionnelles qui, s’étant formées on ne sait comment, s’échangent entre les hommes, et pro­duisent des effets dont l’étendue et les retentissements sont incalculables.

Toute politique se fonde sur l’indiffé­rence de la plupart des intéressés, sans laquelle il n’y a point de politique pos­sible.

La politique fut d’abord l’art d’em­pêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.A une époque suivante, on y adjoignit l’art de contraindre les gens à décider sur ce qu’ils n’entendent pas.

Un homme d’aujourd’hui, jeune, sain, assez fortuné, vole où il veut, traverse vivement le monde, couchant tous les soirs dans un palais. Il peut prendre cent formes de vie ; goûter un peu d’amour, un peu de certitude, un peu partout. S’il n’est pas sans esprit (mais cet esprit pas plus profond qu’il ne faut), il cueille le meilleur de ce qui est, il se transforme à chaque instant en homme heureux. Le plus grand monarque est moins enviable.

lundi 13 septembre 2010

Incertain regard parisien

[Michel Houellebecq, La carte et le territoire]

Le printemps à Paris est souvent une simple prolongation de l'hiver - pluvieux, froid, boueux et sale. L'été y est le plus souvent désagréable : la ville est bruyante et pouissiéreuse, les fortes chaleurs ne tiennent jamais longtemps, se concluent au bout de deux ou trois jours par un orage, suivi d'un rafraîchissement brutal. Il n'y a qu'à l'automne où Paris soit vraiment une ville agréable, offrant des journées ensoleillées et brèves, où l'air sec et limpide laisse une tonique sensation de fraîcheur.

A Paris, l'air ambiant est comme saturé d'information, on aperçoit qu'on le veuille ou non les titres dans les kiosques, on entend les conversations dans la queue des supermarchés. Lorsqu'il s'était rendu dans la Creuse pour l'enterrement de sa grand-mère, il s'était rendu compte que la densité atmosphérique d'information diminuait nettement à mesure que l'on s'éloignait de la capitale ; et que plus généralement les choses humaines perdaient de leur importance, peu à peu tout disparaissait, hormis les plantes.

mercredi 21 juillet 2010

Le couple ?

[Tolstoï, La mort d'Ivan Ilitch]

Il était fils d'un fonctionnaire qui avait fait à Saint-Pétersbourg, dans divers ministères et départements, cette carrière qui place les serviteurs de l'Etat dans la situation où, malgré leur incapacité évidente à assurer toute fonction importante, ils ne peuvent être chassés en raison de leurs longs et loyaux services, et de leur grade, et obtiennent ainsi des emplois fictifs et plusieurs milliers de roubles pas du tout fictifs, de six à dix mille, grâce auxquels ils peuvent vivre jusqu'à l'âge le plus avancé.
A l'école de droit, il était déjà tel qu'il allait être toute sa vie : capable, gai, gentil garçon, sociable, mais exécutant scrupuleusement ce qu'il considérait comme son devoir, et il considérait comme son devoir tout ce qui apparaissait comme tel aux gens les plus hauts placés.

Il voulut ignorer les humeurs de sa femme, il continua de vivre dans la facilité et le plaisir [...] Mais un jour, sa femme l'accabla de grossieretés et dès lors s'acharna sur lui avec une telle véhémence chaque fois qu'il n'avais pas satisfait ses exigences - à l'évidence, elle était farouchement résolue à ne pas s'arrêter tant qu'il n'aurait pas courbé l'échine, c'est à dire tant qu'il ne resterait pas à la maison à se morfondre comme tout comme elle - qu'il fut saisi d'épouvante. Il comprit que la vie conjugale - du moins avec son épouse - ne favorisait pas toujours les plaisirs et convenances de la vie, mais qu'au contraire elle les troublait souvent et qu'il était donc indispensable de se mettre à l'abri de ces perturbations. Or le service en était un [...] comme une arme contre sa femme, afin de préserver l'indépendance de son monde à lui.

Avec la naissance de l'enfant, les tentatives d'allaitement et leurs divers échecs, avec les maladies réelles ou imaginaires de la mère et de l'enfant, toutes choses auxqueilles il ne comprenait rien, mais auxquelles on lui enjoignait de prendre sa part, la nécessité de conserver son univers extérieur à la famille se fit plus impérieuse encore.

Au fur et à mesure que croissaient l'irritation et les exigences de sa femme, Ivan Ilitch déplaçait le centre de gravité de sa vie vers son service. Il aima désormais davantage son travail et devint plus ambitieux.

[...] Ivan Ilitch se situa donc par rapport à la vie conjugale. De la vie familiale, il n'attendait que les aises de la table, de la maison, du lit, qu'elle pouvait lui donner, et surtout le respect de l'étiquette établie par l'opinion publique. Pour le reste, il était en quête de jouissance et de gaieté, et quand il les trouvait, il se montrait très reconnaissant ; mais s'il se heurtait à une résistance ou à de la grogne, il se repliait aussitôt dans l'univers cadenassé du service et y trouvait son plaisir.

[...] Leurs discussions, notamment quand il s'agissait de l'éducation des enfants, débouchaient le plus souvent sur des questions qui ravivaient le souvenir d'anciennes disputes, prêtes à éclater à tout instant. Il ne restait plus aux époux que quelques rares accès de passion amoureuse, bien éphémères. Ilots où ils accostaient pour un temps, avant de reprendre l'océan de la haine sourde qui les rendait étrangers l'un à l'autre.

mardi 20 juillet 2010

L'amitié ?

[Marcel Proust, Le côté de Guermantes]

« L’amitié, dont tout l’effort est de nous faire sacrifier la partie seule réelle et incommunicable (autrement que par le moyen de l’art) de nous-même, à un moi superficiel, qui ne trouve pas comme l’autre de joie en lui-même, mais trouve un attendrissement confus à se sentir soutenu sur des étais extérieurs […] Mais quelle que fût mon opinion sur l’amitié, même pour ne parler que du plaisir qu’elle me procurait, d’une qualité si médiocre qu’elle ressemblait à quelque chose d’intermédiaire entre la fatigue et l’ennui, il n’est breuvage si funeste qui ne puisse à certaines heures devenir précieux et réconfortant en nous apportant le coup de fouet qui nous était nécessaire, la chaleur que nous ne pouvons pas trouver en nous-même. »

Alors dansez maintenant !

[Paul Valéry, philosophie de la danse]

Toute époque qui a compris le corps humain, ou qui a éprouvé, du moins, le sentiment du mystère de cette organisation, de ses ressources, de ses limites, des combinaisons d’énergie et de sensibilité qu’il contient, a cultivé, vénéré la Danse.

L’homme s’est aperçu qu’il possédait plus de vigueur, plus de souplesse, plus de possibilités articulaires et musculaires qu’il n’en avait besoin pour satisfaire aux nécessités de son existence et il a découvert que certains de ces mouvements lui procuraient par leur fréquence, leur succession ou leur amplitude, un plaisir qui allait jusqu’à une sorte d’ivresse, et si intense parfois, qu’un épuisement total de ses forces, une sorte d’extase d’épuisement pouvait seule interrompre son délire, sa dépense motrice exaspérée.

Nous voyons trop de choses ; nous entendons trop de choses dont nous ne faisons rien ni ne pouvons rien faire.

L’homme est cet animal singulier qui se regarde vivre, qui se donne une valeur, et qui place toute cette valeur qu’il lui plaît de se donner dans l’impor­tance qu’il attache à des perceptions inutiles et à des actes sans conséquence physique vitale.

lundi 19 juillet 2010

Tu quoque mi fili

[Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence]

On doit remarquer que ce qui a le plus contribué à rendre les Romains les maîtres du monde, c’est qu’ayant combattu successivement contre tous les peuples ils ont toujours renoncé à leurs usages sitôt qu’ils en ont trouvé de meilleurs.

Nous n’avons plus une juste idée des exercices du corps : un homme qui s’y applique trop nous paraît méprisable, par la raison que la plupart de ces exercices n’ont plus d’autre objet que les agréments, au lieu que, chez les Anciens, tout, jusqu’à la danse, faisait partie de l’art militaire.

Les fondateurs des anciennes républiques avaient également partagé les terres. Cela seul faisait un peuple puissant, c’est-à-dire une société bien réglée. Cela faisait aussi une bonne armée, chacun ayant un égal intérêt, et très grand, à défendre sa patrie.

Des anciennes mœurs, un certain usage de la pauvreté, rendaient à Rome les fortunes à peu près égales ; mais, à Carthage, des particuliers avaient les richesses des rois.
De deux factions qui régnaient à Carthage, l’une voulait toujours la paix, et l’autre, toujours la guerre ; de façon qu’il était impossible d’y jouir de l’une, ni d’y bien faire l’autre.

Les conquêtes sont aisées à faire, parce qu’on les fait avec toutes ses forces ; elles sont difficiles à conserver, parce qu’on ne les défend qu’avec une partie de ses forces.

C’est la folie des conquérants de vouloir donner à tous les peuples leurs lois et leurs coutumes ; cela n’est bon à rien : car, dans toute sorte de gouver­nement, on est capable d’obéir. Mais, Rome n’imposant aucunes lois générales, les peuples n’avaient point entre eux de liaisons dangereuses ; ils ne faisaient un corps que par une obéissance commune, et, sans être compatriotes, ils étaient tous romains.

Demander, dans un État libre, des gens hardis dans la guerre et timides dans la paix, c’est vouloir des choses impossibles, et, pour règle générale, toutes les fois qu’on verra tout le monde tranquille dans un État qui se donne le nom de république, on peut être assuré que la liberté n’y est pas.

La revolucion...!

[Pierre-Joseph Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ?]

A chaque pas que nous faisons dans la connaissance de la nature et des causes, l'idée de Dieu s'étend et s'élève : plus notre science avance, plus Dieu semble grandir et reculer. L'anthropomorphisme et l'idolâtrie furent une conséquence nécessaire de la jeunesse des esprits, une théologie d'enfants et de poètes. Erreur innocente, si l'on n'eût pas voulu en faire un principe de conduite, et si l'on avait su respecter la liberté des opinions. Mais, après avoir fait Dieu à son image, l'homme voulut encore se l'approprier ; non content de défigurer le grand Être, il le traita comme son patrimoine, son bien, sa chose : Dieu, représenté sous des formes monstrueuses, devint partout propriété de l'homme et de l'État. Telle fut l'origine de la corruption des mœurs par la religion, et la source des haines pieuses et des guerres sacrées. Grâce au ciel, nous avons appris à laisser chacun dans sa croyance nous cherchons la règle des mœurs en dehors du culte nous attendons sagement, pour statuer sur la nature et les attributs de Dieu, sur les dogmes de la théologie, sur la destinée de nos âmes, que la science nous apprenne ce que nous devons rejeter et ce que nous devons croire.

L'homme se trompe parce qu'il apprend. Or, si l'homme parvient à savoir tout ce qu'il a besoin de connaître, il y a lieu de croire que, ne se trompant plus, il cessera de souffrir.

Tout ce que la sagesse humaine a enseigné de plus raisonnable concernant la justice, est renfermé dans cet adage fameux : Fais aux autres ce que tu veux qu'on te fasse; Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qui te soit fait. Mais cette règle de morale pratique est nulle pour la science : qu'ai-je droit de vouloir qu'on me fasse ou qu'on ne me fasse pas ? Ce n'est rien de dire que mon devoir est égal à mon droit, si l'on n'explique en même temps quel est ce droit.

La vérité chrétienne ne passa guère l'âge des apôtres; l'Évangile commenté et symbolisé par les Grecs et les Latins, chargé de fables païennes, devint à la lettre un signe de contradiction ; et jusqu'à ce jour le règne de l’Église infaillible n'a présenté qu'un long obscurcissement. On dit que les portes d'enfer ne prévaudront pas toujours, que la Parole de Dieu reviendra, et qu'enfin les hommes connaîtront la vérité et la justice ; mais alors ce sera fait du catholicisme grec et romain, de même qu'à la clarté de la science disparaissent les fantômes de l'opinion.

Un livre parut enfin, se résumant tout entier dans ces deux propositions : Qu'est-ce que le tiers état ? rien. - Que doit-il être ? tout. Quelqu'un ajouta, par forme de commentaire : Qu'est-ce que le roi ? c'est le mandataire du peuple.

Lorsque sur un fait physique, intellectuel ou social, nos idées, par suite des observations que nous avons faites, changent du tout au tout, j'appelle ce mouvement de l'esprit révolution. S'il y a seulement extension ou modification dans nos idées, c'est progrès. Ainsi le système de Ptolémée fut un progrès en astronomie, celui de Copernic fit révolution. De même, en 1789, il y eut bataille et progrès ; de révolution il n'y en eut pas. L'examen des réformes qui furent essayées le démontre.

Ce n'est pas tout - le peuple-roi ne peut exercer la souveraineté par lui-même ; il est obligé de la déléguer à des fondés de pouvoir : c'est ce qu'ont soin de lui répéter assidûment ceux qui cherchent à capter ses bonnes grâces. Que ces fondés de pouvoir soient cinq, dix, cent, mille, qu'importe le nombre et que fait le nom ? c'est toujours le gouvernement de l'homme, le règne de la volonté et du bon plaisir. je demande ce que la prétendue révolution a révolutionné ?

Mais enfin, qu'est-ce que la souveraineté? C'est, dit-on, le pouvoir de faire des lois. Autre absurdité, renouvelée du despotisme. Le peuple avait vu les rois motiver leurs ordonnances par la formule : car tel est notre plaisir ; il voulut à son tour goûter le plaisir de faire des lois. Depuis cinquante ans il en a enfanté des myriades, toujours, bien entendu, par l'opération des représentants. Le divertissement n'est pas près de finir.

Code Napoléon, art. 544 : « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et les règlements ».

La Déclaration des droits a placé la propriété parmi les droits naturels et imprescriptibles de l'homme, qui se trouvent ainsi au nombre de quatre : la liberté, l'égalité, la propriété, la sûreté.

L'État, par l'impôt proportionnel, se fait chef de bande ; c'est lui qui donne l'exemple du pillage en coupes réglées ; c'est lui qu'il faut traîner sur le banc des cours d'assises, en tête de ces hideux brigands, de cette canaille exécrée qu'il fait assassiner par jalousie de métier.

Quand la religion nous commande d'aider nos frères, elle pose un prétexte de charité et non un principe de législation. L'obligation de bienfaisance, qui m'est imposée par la morale chrétienne, ne peut fonder contre moi un droit politique au bénéfice de personne, encore moins une institution de mendicité. Je veux faire l'aumône si c'est mon plaisir, si j'éprouve pour les douleurs d'autrui cette sympathie dont les philosophes parlent et à laquelle je ne crois guère : je ne veux pas qu'on me force. Nul n'est obligé d'être juste au delà de cette maxime : Jouir de son droit autant que cela ne nuit pas au droit d'autrui, maxime qui est la propre définition de la liberté. Or, mon bien est à moi, il ne doit rien à personne.

Les titres sur lesquels on prétend fonder le droit de propriété se réduisent à deux : l'occupation et le travail.

Tant que le partage n'est pas égal, les copartageants restent ennemis, et les conventions sont à recommencer. Ainsi, d'une part, étrangeté, inégalité, antagonisme, guerre, pillage, massacre, de l'autre, société, égalité, fraternité, paix et amour : choisissons.

Le droit d'occuper est égal pour tous.
La mesure de l'occupation n'étant pas dans la volonté, mais dans les conditions variables de l'espace et du nombre, la propriété ne peut se former. Voilà ce qu'un code n'a jamais exprimé, ce qu'une constitution ne peut admettre! Voilà les axiomes que le droit civil et le droit des gens repoussent!...

Le principe: À chacun selon son travail, interprété dans le sens de: Qui plus travaille, plus doit recevoir, suppose donc deux faits évidemment faux : l'un d'économie, savoir, que dans un travail de société les tâches peuvent n'être pas égales; le second de physique, savoir, que la quantité des choses productibles est illimitée.

La quantité limitée de la matière exploitable démontre la nécessité de diviser le travail par le nombre des travailleurs : la capacité donnée à tous d'accomplir une tâche sociale, c'est-à-dire une tâche égale, et l'impossibilité de payer un travailleur autrement que par le produit d'un autre, justifient l’égalité des émoluments.

L'homme isolé ne peut subvenir qu'à une très petite partie de ses besoins; toute sa puissance est dans la société et dans la combinaison intelligente de l'effort universel. La division et la simultanéité du travail multiplient la quantité et la variété des produits ; la spécialité des fonctions augmente la qualité des choses consommables.

La propriété vend au travailleur le produit plus cher qu'elle ne le lui paye.

Le sentiment social prend alors, selon les rapports des personnes, un nouveau caractère : dans le fort, c'est le plaisir de la générosité ; entre égaux, c'est la franche et cordiale amitié ; dans le faible, c'est le bonheur de l'admiration et de la reconnaissance.

I La possession individuelle est la condition de la vie sociale; cinq mille ans de propriété le démontrent : la propriété est le suicide de la société. La possession est dans le droit ; la propriété est contre le droit. Supprimez la propriété en conservant la possession; et, par cette seule modification dans le principe, vous changerez tout dans les lois, le gouvernement, l'économie, les institutions : vous chassez le mal de la terre.

II Le droit d'occuper étant égal pour tous, la possession varie comme le nombre des possesseurs ; la propriété ne peut se former.

III L'effet du travail étant aussi le même pour tous, la propriété se perd par l'exploitation étrangère et par le loyer.

IV Tout travail humain résultant nécessairement d'une force collective, toute propriété devient, par la même raison, collective et indivise : en termes plus précis, le travail détruit la propriété.

V Toute capacité travailleuse étant, de même que tout instrument de travail, un capital accumulé, une propriété collective, l'inégalité de traitement et de fortune, sous prétexte d'inégalité de capacité, est injustice et vol.

VI Le commerce a pour conditions nécessaires la liberté des contractants et l'équivalence des produits échangés : or, la valeur ayant pour expression la somme de temps et de dépense que chaque produit coûte, et la liberté étant inviolable, les travailleurs restent nécessairement égaux en salaires, comme ils le sont en droits et en devoirs.

VII Les produits ne s'achètent que par les produits or, la condition de tout échange étant l'équivalence des produits, le bénéfice est impossible et injuste. Observez ce principe de la plus élémentaire économie, et le paupérisme, le luxe, l'oppression, le vice, le crime, avec la faim, disparaîtront du milieu de nous.

VIII Les hommes sont associés par la loi physique et mathématique de la production, avant de l'être par leur plein acquiescement : donc l'égalité des conditions est de justice, c'est-à-dire de droit social, de droit étroit; l'estime, l'amitié, la reconnaissance, l'admiration, tombent seules dans le droit équitable ou proportionnel.

IX L'association libre, la liberté, qui se borne à maintenir l'égalité dans les moyens de production, et l'équivalence dans les échanges, est la seule forme de société possible, la seule juste, la seule vraie.

X La politique est la science de la liberté : le gouvernement de l'homme par l'homme, sous quelque nom qu'il se déguise, est oppression ; la plus haute perfection de la société se trouve dans l'union de l'ordre et de l'anarchie.

vendredi 4 juin 2010

Russes et Zaporogues

[Tourgueniev, Le journal d'un homme de trop]

Plus profondément je rentre en moi-même, plus attentivement j'examine toute ma vie passée, et plus je me convaincs de la rigoureuse vérité de cette expression. Homme de trop : c'est bien cela... de moi, il n'y a pas moyen de dire autre chose : homme de trop, c'est tout.

[N. Gogol, Taras Boulba]


mardi 1 juin 2010

Choisir sa vie

[H. Thoreau, Walden ou la vie dans les bois]

L'existence que mène généralement les hommes, en est une de tranquille désespoir. (...) Si l'on considère ce qui, pour employer les termes du catéchisme, est la fin principale de l'homme, et de que sont les véritables besoins de l'existence, il semble que ce soit de préférence à tout autre, que les hommes, après mûre réflexion, aient choisi leur mode ordinaire de vivre. Toutefois, ils croient honnêtement que nul choix ne leur est laissé. Mais les natures alertes et saines ne perdent pas de vue que le soleil s'est levé clair. Il n'est jamais trop tard pour renoncer à nos préjugés. Nulle façon de penser ou d'agir, si ancienne soit-elle, ne saurait être acceptée sans preuve. Ce que chacun répète en écho ou passe sous silence comme vrai aujourd'hui peut demain se révéler mensonge, simple fumée d'opinion.
(...) Il se déverse dans le monde un incessant torrent de nouveauté, en dépit de quoi nous souffrons une incroyable torpeur. Qu'il me suffise de mentionner le genre de sermons qu'on écoute encore dans les pays les plus éclairés. Il y a des mots comme joie et douleur, mais ce ne sont que le refrain d'un psaume, chanté d'un accent nasillard, tandis que nous croyons en l'ordinaire et le médiocre. Nous nous imaginons ne pouvoir changer que d'habits.

mardi 27 avril 2010

Also Sprach..

[Friedrich Nietzsche, Also sprach Zarathustra]

Il est temps que l’homme se fixe à lui-même son but. Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance.
Maintenant son sol est encore assez riche. Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître.
Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer !
Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos.
Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même.
Voici ! Je vous montre le dernier homme.

Maintenant encore les grandes âmes trouveront devant elles l'existence libre. Il reste bien des endroits pour ceux qui sont solitaires ou à deux, des endroits où souffle l'odeur des mers silencieuses.
Une vie libre reste ouverte aux grandes âmes. En vérité, celui qui possède peu est d'autant moins possédé : bénie soit la petite pauvreté.
Là où finit l'État, là seulement commence l'homme qui n'est pas superflu : là commence le chant de la nécessité, la mélodie unique, à nulle autre pareille.
Là où finit l'État, — regardez donc, mes frères ! Ne voyez-vous pas l'arc-en-ciel et le pont du Surhumain ?

Veux-tu, mon frère, aller dans l'isolement ? Veux-tu chercher le chemin qui mène à toi-même ? Hésite encore un peu et écoute-moi. "Celui qui cherche se perd facilement lui-même. Tout isolement est une faute" : ainsi parle le troupeau. Et longtemps tu as fait partie du troupeau. En toi aussi la voix du troupeau résonnera encore. Et lorsque tu diras : "Ma conscience n'est plus la même que le vôtre," ce sera plainte et douleur. Voici, cette conscience commune enfanta aussi cette douleur elle-même : et la dernière lueur de cette conscience enflamme encore ton affliction. Mais tu veux suivre la voix de ton affliction qui est la voie qui mène à toi-même. Montre-moi donc que tu en as le droit et la force ! Es-tu une force nouvelle et un droit nouveau ? Un premier mouvement ? Une roue qui roule sur elle-même ? Peux-tu forcer des étoiles à tourner autour de toi ? Hélas ! il y a tant de convoitises qui veulent aller vers les hauteurs ! Il y a tant de convulsions des ambitieux. Montre-moi que tu n'es ni parmi ceux qui convoitent, ni parmi les ambitieux ! Hélas ! il y a tant de grandes pensées qui n'agissent pas plus qu'une vessie gonflée. Elles enflent et rendent plus vide encore. Tu t'appelles libre ? Je veux que tu me dises ta pensée maîtresse, et non pas que tu t'es échappé d'un joug. Es-tu quelqu'un qui avait le droit de s'échapper d'un joug ? Il y en a qui perdent leur dernière valeur en quittant leur sujétion. Libre de quoi ? Qu'importe cela à Zarathoustra ! Mais ton œil clair doit m'annoncer : libre pour quoi ? Peux-tu te fixer à toi-même ton bien et ton mal et suspendre ta volonté au-dessus de toi comme une loi ? Peux-tu être ton propre juge et le vengeur de ta propre loi ?
Il est terrible de demeurer seul avec le juge et le vengeur de sa propre loi. C'est ainsi qu'une étoile est projetée dans le vide et dans le souffle glacé de la solitude. Aujourd'hui encore tu souffres du nombre, toi l'unique : aujourd'hui encore tu as tout ton courage et toutes tes espérances. Pourtant ta solitude te fatiguera un jour, ta fierté se courbera et ton courage grincera des dents. Tu crieras un jour : "Je suis seul !" Un jour tu ne verras plus ta hauteur, et ta bassesse sera trop près de toi. Ton sublime même te fera peur comme un fantôme. Tu crieras un jour : "Tout est faux !" Il y a des sentiments qui veulent tuer le solitaire ; s'ils n'y parviennent point, il leur faudra périr eux-mêmes ! Mais es-tu capable d'être assassin ? Mon frère, connais-tu déjà le mot "mépris" ? Et la souffrance de ta justice qui te force à être juste envers ceux qui te méprisent ? Tu obliges beaucoup de gens à changer d'avis sur toi ; voilà pourquoi ils t'en voudront toujours. Tu t'es approché d'eux et tu as passé : c'est ce qu'ils ne te pardonneront jamais. Tu les dépasses : mais plus tu t'élèves, plus tu parais petit aux yeux des envieux. Mais celui qui plane dans les airs est celui que l'on déteste le plus. "Comment sauriez-vous être justes envers moi ! — c'est ainsi qu'il te faut parler — je choisis pour moi votre injustice, comme la part qui m'est due." Injustice et ordures, voilà ce qu'ils jettent après le solitaire : pourtant, mon frère, si tu veux être une étoile, il faut que tu les éclaires malgré tout ! Et garde-toi des bons et des justes ! Ils aiment à crucifier ceux qui s'inventent leur propre vertu, — ils haïssent le solitaire.
Garde-toi aussi de la sainte simplicité ! Tout ce qui n'est pas simple lui est impie ; elle aime aussi à jouer avec le feu — des bûchers. Et garde-toi des accès de ton amour ! Trop vite le solitaire tend la main à celui qu'il rencontre. Il y a des hommes à qui tu ne dois pas donner la main, mais seulement la patte : et je veux que ta patte ait aussi des griffes. Mais le plus dangereux ennemi que tu puisses rencontrer sera toujours toi-même ; c'est toi-même que tu guettes dans les cavernes et les forêts. Solitaire, tu suis le chemin qui mène à toi-même ! Et ton chemin passe devant toi-même et devant tes sept démons ? Tu seras hérétique envers toi-même, sorcier et devin, fou et incrédule, impie et méchant. Il faut que tu veuilles te brûler dans ta propre flamme : comment voudrais-tu te renouveler sans t'être d'abord réduit en cendres !
Solitaire, tu suis le chemin du créateur : tu veux te créer un dieu de tes sept démons !
Solitaire, tu suis le chemin de l'amant : tu t'aimes toi-même, c'est pourquoi tu te méprises, comme seuls méprisent les amants. L'amant veut créer puisqu'il méprise ! Comment saurait-il parler de l'amour, celui qui ne devait pas mépriser précisément ce qu'il aimait !
Va dans ta solitude, mon frère, avec ton amour et ta création ; et sur le tard la justice te suivra en traînant la jambe. Va dans ta solitude avec mes larmes, ô mon frère. J'aime celui qui veut créer plus haut que lui-même et qui périt aussi. — Ainsi parlait Zarathoustra.

Il est vrai que celui qui n'a jamais vécu à temps ne saurait mourir à temps. Qu'il ne soit donc jamais né ! — Voilà ce que je conseille aux superflus.
Mais les superflus eux-mêmes font les importants avec leur mort, et la noix la plus creuse prétend être cassée.

vendredi 16 avril 2010

Tu seras un homme mon fils...

[Rudyyard Kipling, If]

If you can keep your head when all about you
Are losing theirs and blaming it on you,
If you can trust yourself when all men doubt you,
But make allowance for their doubting too,
If you can wait and not be tired by waiting,
Or being lied about, don't deal in lies,
Or being hated, don't give way to hating,
And yet don't look too good, nor talk too wise ;
If you can dream and not make dreams your master,
If you can think and not make thoughts your aim,
If you can meet Triumph and Disaster
And treat those two impostors just the same,
If you can bear to hear the truth you've spoken,
Twisted by knaves to make a trap for fools,
Or watch the things you gave your life to broken,
And stoop and build'em up with worn-out tools ;
If you can make one heap of all your winnings,
And risk it on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings,
And never breathe a word about your loss,
If you can force your heart and nerve and sinew
To serve your turn long after they are gone,
And so hold on when there is nothing in you,
Except the Will which says to them : "Hold on!",
If you can talk with crowds and keep your virtue,
Or walk with Kings nor lose the common touch,
If neither foes nor loving friends can hurt you,
If all men count with you, but none too much,
If you can fill the unforgiving minute,
With sixty seconds' worth of distance run,
Yours is the Earth and everything that's in it,
And, which is more, you'll be a man, my son.

lundi 12 avril 2010

Waking Life..

[Richard Linklater, waking life]

You want to go with the flow. The sea refuses no river. The idea is to remain in a state of constant departure while always arriving. Saves on introductions and good-byes. The ride does not require an explanation. Just occupants. That's where you guys come in. It's like you come onto this planet with a crayon box. Now, you may get the 8-pack, you may get the 16-pack. But it's all in what you do with the crayons, the colors that you're given. Don't worry about drawing within the lines or coloring outside the lines. I say color outside the lines. Color right off he page. Don't box me in. We're in motion to the ocean. We are not landlocked, I'll tell ya that.

I 'm afraid we're losing the real virtues of living life passionately, the sense of taking responsibility for who you are, the ability to make something of yourself and feeling good about life. Existentialism is often discussed as if it's a philosophy of despair. But I think the truth is just the opposite.

The more that you talk about a person as a social construction... or as a confluence of forces... or as fragmented or marginalized, what you do is you open up a whole new world of excuses.

It might be true that there are six billion people in the world and counting. Nevertheless, what you do makes a difference. It makes a difference, first of all, in material terms. Makes a difference to other people and it sets an example. In short, I think the message here is... that we should never simply write ourselves off...and see ourselves as the victim of various forces. It's always our decision who we are.

Creation seems to come out of imperfection. I t seems to come out of a striving and a frustration. And this is where I think language came from. I mean, it came from our desire to transcend our isolation...and have some sort of connection with one another.

We feel that we have connected, and we think that we're understood, I think we have a feeling of almost spiritual communion. And that feeling might be transient, but I think it's what we live for.
The moment is not just a passing, empty nothing yet. And this is in the way in which these secret passages happen. Yes, it's empty with such fullness...that the great moment, the great life of the universe...is pulsating in it. And each one, each object, each place, each act...Leaves a mark.

There are two kinds of sufferers in this world: those who suffer from a lack of life...and those who suffer from an overabundance of life. I've always found myself in the second category. When you come to think of it, almost all human behavior and activity... is not essentially any different from animal behavior. The most advanced technologies and craftsmanship...bring us, at best, up to the super-chimpanzee level. Actually, the gap between, say, Plato or Nietzsche and the average human...is greater than the gap between that chimpanzee and the average human. The realm of the real spirit, the true artist, the saint, the philosopher, is rarely achieved. Why so few? Why is world history and evolution not stories of progress...but rather this endless and futile addition of zeroes? No greater values have developed. Hell, the Greeks 3000 years ago were just as advanced as we are. So what are these barriers that keep people... from reaching anywhere near their real potential? The answer to that can be found in another question, and that's this: Which is the most universal human characteristic-- fear or laziness?

jeudi 8 avril 2010

L'homme sans qualité

[Robert Musil, L'homme sans qualités I]

Comme la possession de qualités présuppose qu'on éprouve une certaine joie à les savoir réelles, on entrevoit dès lors comment quelqu'un qui, fût-ce par rapport à lui-même, ne se targue d'aucun sens du réel, peut s'apparaître un jour, à l'improviste, en Homme sans qualités.

Dans une communauté constamment irriguée d'énergie, tous les chemins mènent à un but estimable, pourvu que l'on n'hésite ni ne réfléchisse trop longtemps. Les buts sont à courte distance ; mais la vie aussi est courte ; on lui prend ainsi le maximum de résultats, et il n'en faut pas plus à l'homme pour être heureux, car l'âme est formée par ce qu'elle atteint, alors que ce qu'elle poursuit sans y atteindre la déforme ; pour le bonheur, ce qui compte n'est pas ce que l'on veut ; mais d'atteindre ce que l'on veut.

vendredi 2 avril 2010

Devise

In girum imus nocte et consumimur igni

Musique !

[Baudelaire, les fleurs du mal, LXXI la musique]

La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile ;
La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile,
J’escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile ;
Je sens vibrer en moi toutes les passions
D’un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions
Sur l’immense gouffre
Me bercent. — D’autre fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir !

Poesia...

[Pablo Neruda, Abandonado]

No preguntó por ti ningún día, salido
de los dientes del alba, del estertor nacido,
no buscó tu coraza, tu piel, tu continente
para lavar tus pies, tu salud, tu destreza
un día de racimos indicados?
No nació para ti solo,
para ti sola, para ti la campana
con sus graves circuitos de primavera azul:
lo extenso de los gritos del mundo, el desarrollo
de los gérmenes fríos que tiemblan en la tierra, el silencio
de la nave en la noche, todo lo que vivió lleno de párpados
para desfallecer y derramar?
Te pregunto:a nadie, a ti, a lo que eres, a tu pared, al viento
si en el agua del río ves a ti corriendo
una rosa magnánima de canto y transparencia,
o si en la desbocada primavera agredida
por el primer temblor de las cuerdas humanas
cuando canta el cuartel a la luz de la luna
invadiendo la sombra del cerezo salvaje,
no has visto la guitarra que te era destinada,
y la cadera ciega que quería besarte?
Yo no sé: yo sólo sufro de no saber quién eres
y de tener la sílaba guardada por tu boca,
de detener los días más altos y enterrarlos
en el bosque, bajo las hojas ásperas y mojadas,
a veces, resguardado bajo el ciclón, sacudido
por los más asustados árboles, por el pecho
horadado de las tierras profundas, entumecido
por los últimos clavos boreales, estoy
cavando más allá de los ojos humanos,
más allá de las uñas del tigre, lo que a mis brazos llega
para ser repartido más allá de los días glaciales.
Te busco, busco tu efigie entre las medallas
que el cielo gris modela y abandona,
no sé quién eres pero tanto te debo
que la tierra está llena de mi tesoro amargo.
Qué sal, qué geografía, qué piedra no levanta
su estandarte secreto de lo que resguardaba?
Qué hoja al caer no fue para mí un libro largo
de palabras por alguien dirigidas y amadas?
Bajo qué mueble oscuro no escondí los más dulces
suspiros enterrados que buscaban señales
y sílabas que a nadie pertenecieron?
Eres, eres tal vez, el hombre o la mujer
o la ternura que no descifró nada.
O tal vez no apretaste el firmamento oscuro
de los seres, la estrella palpitante, tal vez
al pisar no sabías que de la tierra ciega
emana el día ardiente de pasos que te buscan.
Pero nos hallaremos inermes, apretados
entre los dones mudos de la tierra final.

lundi 8 mars 2010

Aphorismes crépusculaires

[Friedrich Nietzsche, Le crépuscule des idôles]

— La valeur d’une chose réside parfois non dans ce qu’on gagne en l’obtenant, mais dans ce qu’on paye pour l’acquérir, — dans ce qu’elle coûte.

Aide-toi, toi-même : alors tout le monde t’aidera. Principe de l’amour du prochain.

Si l’on possède son pourquoi ? de la vie, on s’accommode de presque tous les comment ? — L’homme n’aspire pas au bonheur ; il n’y a que l’Anglais qui fait cela.

Celui qui ne sait pas mettre sa volonté dans les choses veut du moins leur donner un sens : ce qui le fait croire qu’il y a déjà une volonté en elles (Principe de la « foi »).

Es-tu vrai ? ou n’es-tu qu’un comédien ? Es-tu un représentant ? ou bien es-tu toi-même la chose qu’on représente ? En fin de compte tu n’es peut-être que l’imitation d’un comédien...

Et si votre dureté ne veut pas étinceler, et trancher, et inciser : comment pourriez-vous un jour créer avec moi ?
Car les créateurs sont durs. Et cela doit vous sembler béatitude d'empreindre votre main en des siècles, comme en de la cire molle, — béatitude d'écrire sur la volonté des millénaires, comme sur de l'airain, — plus dur que de l'airain, plus noble que l'airain. Le plus dur seul est le plus noble.
Ô mes frères, je place au-dessus de vous cette table nouvelle : DEVENEZ DURS ! »

vendredi 5 mars 2010

Impressions

[Grégoire Sala, RoadBook 6]

L’inexorable ressac met à nue une plage de sable noir exhalant les odeurs nauséabondes de la marée descendante. L’écume joyeuse qui recouvrait ce champ de désolation n’est plus qu’un souvenir irréel.
Je regarde reculer la mer. Mon âme sombre.

Le regard captivé par la danse envoutante de ses doigts fins accompagnant subtilement la douce mélodie de sa voix suave, j’inspire.
Mon imagination oscille paisiblement dans les volutes parfumées du vin aux arômes sauvages et framboisés, m’entraînant tournoyant vers l’ivresse désirée.
Je plonge sans retenue dans son regard délicieux.

mardi 2 mars 2010

Hugo rêveur

[Victor Hugo, Les feuilles d'automne - La pente de la rêverie]

Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ;
Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;
Et quand s'offre à vos yeux un océan qui dort,
Nagez à la surface ou jouez sur le bord ;
Car la pensée est sombre ! Une pente insensible
Va du monde réel à la sphère invisible ;
La spirale est profonde, et quand on y descend,
Sans cesse se prolonge et va s'élargissant,
Et pour avoir touché quelque énigme fatale,
De ce voyage obscur souvent on revient pâle !

lundi 1 mars 2010

Théologie rimbaldienne

[Arthur Rimbaud, Reliquaire - Soleil et Chair]

I.
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !
Et tout croît, et tout monte !
Ô Vénus, ô Déesse!
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
– Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.
Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes :
– Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !

II.
Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodité marine ! – Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
– Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de Dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
– Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
– C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

III.
Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
– Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
– Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !
- Le Monde a soif d'amour: tu viendras l'apaiser.


IV.
Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipige la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
Ô grande Ariadné, qui jette tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
– Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
– Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !
Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre, où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
– La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
– La Source pleure au loin dans une longue extase...
C'est la nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
– Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
– Les Dieux écoutent l'homme et le Monde infini !

mardi 23 février 2010

Mohandas Karamchand Gandhi

«The Roots of Violence: Wealth without work, Pleasure without conscience, Knowledge without character, Commerce without morality, Science without humanity, Worship without sacrifice, Politics without principles.»

« Œil pour œil et le monde finira aveugle. »
« Cette civilisation est telle que l'on a juste à être patient et elle s'autodétruira. »

« L'État représente la violence sous une forme intensifiée et organisée. L'individu a une âme, mais l'État qui est une machine sans âme ne peut être soustrait à la violence puisque c'est à elle qu'il doit son existence. »

« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde. »

« C'est une erreur de croire qu'il n'y ait pas de rapport entre la fin et les moyens, et cette erreur a entraîné des hommes considérés comme croyants à commettre de terribles crimes. C'est comme si vous disiez qu'en plantant des mauvaises herbes on peut récolter des roses. »

mercredi 10 février 2010

Sisyphe heureux

[Albert Camus, Le mythe de Sisyphe]

L'une des seules positions philosophiques cohérentes, c'est ainsi la révolte. Elle est un confrontement perpétuel de l'homme et de sa propre obscurité. Elle est exigence d'une impossible transparence. Elle remet le monde en question à chacune de ses secondes. (...) Elle est cette présence constante de l'homme à lui-même. Elle n'est pas aspiration, elle est sans espoir. Cette révolte n'est que l'assurance d'un destin écrasant, moins la résignation qui devrait l'accompagner.
Etendue sur toute la longueur d'une existence, elle lui restitue sa grandeur. Pour un homme sans oeillères, il n'est pas de plus beau spectacle que celui de l'intelligence aux prises avec une réalité qui le dépasse. (...) L'homme absurde ne peut que tout épuiser, et s'épuiser. L'absurde est sa tension la plus extrême, celle qu'il maintient constamment d'un effort solitaire, car il sait que dans cette conscience et dans cette révolte au jour le jour, il témoigne de sa seule vérité qui est le défi.

Nous finissons toujours par avoir le visage de nos vérités.

mardi 9 février 2010

Lyrisme camusien

[Albert Camus, Les noces]

« Que d’heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d’accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa mesure profonde ».
« Il y a des mots que je n’ai jamais bien compris, comme celui de péché… S’il y a un péché contre la vie, ce n’est peut-être pas tant d’en désespérer que d’espérer une autre vie et se dérober à l’implacable grandeur de celle-ci ».
« Singulier instant où la spiritualité répudie la morale, où le bonheur naît de l’absence d’espoir, où l’esprit trouve sa raison dans le corps ».
« Je comprends ici ce qu'on appelle la gloire : le droit d'aimer sans mesure. Il n'y a qu'un seul amour en ce monde. Etreindre un corps de femme, c'est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer. Tout à l'heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j'aurai conscience, contre tous les préjugés, d'accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort. Dans un sens, c'est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine de soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter maintenant. La brise est fraîche et le ciel bleu. J'aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté : elle me donne l'orgueil de ma condition d'homme ».
« J'avais fait mon métier d'homme et d'avoir connu la joie tout un long jour ne me semblait pas une réussite exceptionnelle, mais l'accomplissement ému d'une condition qui, en certaines circonstances, nous fait un devoir d'être heureux. Nous retrouvons alors une solitude, mais cette fois dans la satisfaction ».
« Si je refuse obstinément tous les "plus tard" du monde, c'est qu'il s'agit aussi bien de ne pas renoncer à ma richesse présente. Il ne me plaît pas de croire que la mort ouvre sur une autre vie ».
« Elle portait un collier de jasmin sur sa robe bleue collante, que la sueur mouillait depuis les reins jusqu'aux jambes. Elle riait en dansant et renversait la tête. Quand elle passait près des tables, elle laissait après elle une odeur mêlée de fleurs et de chair ».

vendredi 5 février 2010

Expressions indispensables

Se dit de quelqu'un de pas très gros : "Taillé dans un piston de Solex""Taillé dans un tibia de cigogne""Monté pour la pêche au gardon""Epais comme une portière de vélo"

Pour la grosse commission :"Avoir une balle dans le canon"'Avoir le Boeing en bout de piste""Avoir la taupe en haut du toboggan...et elle tient plus que par un bras""Déposer des copains à la piscine""L'ennemi est à mes portes" "Déposer le bilan" "Faire fonctionner la guillotine à boudin"

Pour la petite commission : "Faire pleurer la mésange""Changer l'eau des poissons""Changer l'eau des patates"

A dire pour une fille un peu..."facile" : "Maquillée comme une voiture volée""Elle est plus facile à mettre sur le dos qu'une chèvre sur ses deux cornes""Habillée ras la salle de jeux""Avoir l'abat-jour au ras de l'ampoule" "Elle a ouvert plus de braguettes que de dictionnaires"

Description précise d'un mec bourré (marche aussi pour les filles) : "Bourré comme un œuf à deux jaunes""Fait comme un jambon""Déchiré comme un drapeau""Plein comme une cantine""Rond comme une queue de pelle""Pété comme un serre-joints" "Beurré comme un p'tit Lu""Blanc comme un d'ssous d'couilles" "Etre rond comme un carré" "Plein comme une pute au petit matin"

Quelqu'un de type Cyrano : "Il peut fumer sous la douche"

Quand tout ça ne vaut pas grand chose : "C'est de la roupie de sansonnet"

Catégorie + de 18 ans : "Mazouter le pingouin" (position sexuelle "postérieure")"Faire une sucette à la viande""Caresser le grand chauve à col roulé""Arroser le persil""Lui faire baver le buleau" "Aller lui poutrer la charpente"

Pour les gâteries "en solo" : "Serrer la main au père de ses enfants "Se polir le chinois" "Se la prendre à 5 contre 1" "Exécuter un solo de balalaïka" (pour les filles)

Pour une damoiselle pas bien épilée...:"Avoir le persil qui dépasse du cabas""Avoir le foin qui dépasse de la charrette"

Pour quelqu'un de pas bien intelligent : "Il a pas inventé le bidon de 2 litres""Il a pas l'eau chaude à tous les étages""Il a pas la lumière à tous les étages" "Con à bêcher d'la flotte" "Quand son berceau a pris feu, on l'a éteint à coups de pelle""Il a pas inventé la boule à caravane" "Con comme une valise sans poignée" "Il a le pâté qui colle au fond d'la boîte"

Se dit quand l'heure approche de renouveler les consos : "Les mouches ont pieds" "Rhabiller le gamin""On n'est pas venu là pour poser du lino" "Un p'tit goût de reviens-y""On n'est pas venu là pour beurrer les sandwichs" "J'vais bientôt pisser d'la poudre"

Pour quelqu'un qui a pris une bonne torgnole :"Se manger une salade de phalanges""Se manger un giroflé à cinq pétales"

Quand t'essaies de sermonner un pilier de comptoir : "Je boirai du lait quand les vaches mangeront du raisin"

Pour quelqu'un de dégarni : "Se laisser pousser le front""Une vraie bite à oreilles" "Un mouchodrome"

Quand on prend de très gros risques : "Jouer avec les vis de son cercueil"

Quand tu me la fais pas à l'envers : "On n'est pas venu là déguisés en choux fleurs pour se faire bouffer l'cul par les lapins"

Pour décrire un imbécile heureux : "Content comme un cochon dans la merde"

jeudi 4 février 2010

Caritas in Veritate

[Benoît XVI, Lettre encyclique Caritas in Veritate]

53. Une des pauvretés les plus profondes que l’homme puisse expérimenter est la solitude. Tout bien considéré, les autres formes de pauvreté, y compris les pauvretés matérielles, naissent de l’isolement, du fait de ne pas être aimé ou de la difficulté d’aimer. Les pauvretés sont souvent la conséquence du refus de l’amour de Dieu, d’une fermeture originelle tragique de l’homme en lui-même, qui pense se suffire à lui-même, ou bien considère qu'il n'est qu’un simple fait insignifiant et éphémère, un « étranger » dans un univers qui s’est constitué par hasard. L’homme est aliéné quand il est seul ou quand il se détache de la réalité, quand il renonce à penser et à croire en un Fondement. L’humanité tout entière est aliénée quand elle met sa confiance en des projets purement humains, en des idéologies et en de fausses utopies. De nos jours, l’humanité apparaît beaucoup plus interactive qu’autrefois: cette plus grande proximité doit se transformer en une communion véritable. Le développement des peuples dépend surtout de la reconnaissance du fait que nous formons une seule famille qui collabore dans une communion véritable et qui est constituée de sujets qui ne vivent pas simplement les uns à côté des autres.

La créature humaine, qui est de nature spirituelle, se réalise dans les relations interpersonnelles. Plus elle les vit de manière authentique, plus son identité personnelle mûrit également. Ce n’est pas en s’isolant que l’homme se valorise lui-même, mais en se mettant en relation avec les autres et avec Dieu. L’importance de ces relations devient alors fondamentale. Cela vaut aussi pour les peuples. Pour leur développement, une vision métaphysique de la relation entre les personnes est donc très utile. A cet égard, la raison trouve une inspiration et une orientation dans la révélation chrétienne, selon laquelle la communauté des hommes n’absorbe pas en soi la personne, anéantissant son autonomie, comme cela se produit dans les diverses formes de totalitarisme, mais elle la valorise encore davantage car le rapport entre individu et communauté est celui d’un tout vers un autre tout. Tout comme la communauté familiale n’abolit pas en elle les personnes qui la composent et comme l’Église elle-même valorise pleinement la ‘créature nouvelle’ (cf. Ga 6, 15; 2 Co 5, 17) qui, par le baptême, s’insère dans son Corps vivant, de la même manière l’unité de la famille humaine n’abolit pas en elle les personnes, les peuples et les cultures, mais elle les rend plus transparents les uns aux autres, plus unis dans leurs légitimes diversités.

65. Il faut enfin que la finance en tant que telle, avec ses structures et ses modalités de fonctionnement nécessairement renouvelées après le mauvais usage qui en a été fait et qui a eu des conséquences néfastes sur l’économie réelle, redevienne un instrument visant à une meilleure production de richesses et au développement. Toute l’économie et toute la finance, et pas seulement quelques-uns de leurs secteurs, doivent, en tant qu’instruments, être utilisés de manière éthique afin de créer les conditions favorables pour le développement de l’homme et des peuples. Il est certainement utile, et en certaines circonstances indispensable, de donner vie à des initiatives financières où la dimension humanitaire soit dominante. Mais cela ne doit pas faire oublier que le système financier tout entier doit être orienté vers le soutien d’un développement véritable. Il faut surtout que l’objectif de faire le bien ne soit pas opposé à celui de la capacité effective à produire des biens. Les opérateurs financiers doivent redécouvrir le fondement véritablement éthique de leur activité afin de ne pas faire un usage abusif de ces instruments sophistiqués qui peuvent servir à tromper les épargnants. L’intention droite, la transparence et la recherche de bons résultats sont compatibles et ne doivent jamais être séparés. Si l’amour est intelligent, il sait trouver même les moyens de faire des opérations qui permettent une juste et prévoyante rétribution, comme le montrent, de manière significative, de nombreuses expériences dans le domaine du crédit coopératif.

Dieu est le Verbe, le Logos, la Raison primordiale. Or, la raison s'oppose à la violence et aux passions.

mercredi 27 janvier 2010

Existentialitzsche

On est ce que l'on devient. On devient ce que l'on choisi d'être. La fin justifie les moyens et les moyens justifient la fin.

mardi 12 janvier 2010

Thérapie Existentielle

[Irvin Yalom, Thérapie existentielle]

La mort, la liberté, la solitude ou l'absence de sens sont autant d'enjeux auxquels chacun de nous s'est confronté un jour.