vendredi 26 août 2016

Généreuse et belle gaîté

- Casanova, Autobiographie -

La gaité, madame, est le partage des bienheureux, et la tristesse est l’image affreuse des esprits condamnés aux peines éternelles. Soyez donc gaie, et méritez ainsi d’être belle.

samedi 30 juillet 2016

De l'éducation

Marguerite Yourcenar, Les yeux ouverts

...J'ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l'éducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des études de base, très simples, où l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu'il dépend de l'air, de l'eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire.
Il apprendrait que les hommes se sont entre-tués dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil.
On lui apprendrait assez du passé pour qu'il se sente relié aux hommes qui l'ont précédé, pour qu'il les admire là où ils méritent de l'être, sans s'en faire des idoles, non plus que du présent ou d'un hypothétique avenir.
On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts.
On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays.
En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d'avance certains odieux préjugés.
On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs.
Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu'on ne le fait.

jeudi 18 février 2016

Renard, chenapan

Jules Renard, extrait des morceaux choisis de son Journal 1887-1910, daté du 29 novembre 1894

« Je n'ai réussi nulle part. J'ai tourné le dos au Gil Blas, à l'Echo de Paris, au Journal, au Figaro, à la Revue hebdomadaire, à la Revue de Paris, etc. Pas un de mes livres n'arrive à un second tirage. Je gagne en moyenne vingt-cinq francs par mois. Si mon ménage reste pacifique, c'est grâce à une femme douce comme les anges. J'ai vite assez de mes amis. Quand je les aime trop, je leur en veux, et, quand ils ne m'aiment plus, je les méprise. Je ne suis bon à rien, ni à me conduire en propriétaire, ni à faire la charité. Parlons de mon talent. Il me suffit de lire une page de Saint-Simon ou de Flaubert pour rougir. Mon imagination, c'est une bouteille, un cul de flacon déjà vide. Avec un peu d'habitude, un reporter égalerait ce que, plein de suffisance, j'appelle mon style. Je flatte mes confrères par lettres et je les déteste à vue. Mon égoïsme exige tout. Une ambition de taille à regarder par dessus l'Arc de Triomphe, et ce faux dédain des médailles ! (...) et malgré cela, il y a, ma parole, des quarts d'heure où je suis content de moi. (...) »